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Afin de contribuer à une meilleure compréhension de la psaltique et du chant byzantin en français, le groupe STOUDION rend public un certain nombre de ses publications et résultats de recherche.



L’ADAPTATION DU CHANT BYZANTIN AUX LANGUES DES ÉGLISES ORTHODOXES LOCALES

Andréa ATLANTI


I. L’origine et le développement du Chant Byzantin


Le chant byzantin est le chant liturgique traditionnel de l’Église orthodoxe en langue grecque. Le répertoire en usage a été, au cours de l’histoire, adapté aux diverses langues des peuples orthodoxes, conduisant ainsi au développement de traditions parallèles. Cette tendance à l’adaptation se confirme de nos jours avec le développement de l’Orthodoxie dans le monde entier.
L’origine du chant byzantin remonte aux premiers siècles de l’ère chrétienne, dans la partie orientale de l’Empire Romain; mais c’est surtout à partir de l’Édit de Milan (313 ap. J.C.) quand l’Église est sortie des catacombes, que le chant liturgique commença à se développer. Le nombre des fidèles augmentant, le chant devait alors tenir une place plus importante
dans les célébrations et s’est enrichi au fil des siècles de nouvelles hymnes et de nouvelles mélodies plus ornées, conduisant au développement d’une hymnographie et d’une tradition de chant sacré du plus haut niveau, transmise de génération en génération jusqu’à nos jours. Le chant byzantin est un patrimoine de portée universelle encore peu connu en dehors de sa sphère d’influence directe.

Ses premiers hymnographes furent parmi les saints hiérarques de l’Église, théologiens et poètes mystiques. Ils écrivaient en grec - langue de culture de l’époque. Le système tonal du chant byzantin s’est développé surtout entre les 4e et 8e siècles, en utilisant la théorie musicale de la Grèce antique - théorie qui avait atteint un niveau inégalé dans l’histoire. C’est à Saint Jean Damascène qu’est attribué le rôle de l’organisation des 8 tons (Octoèque), et c’est lui qui a mis de l’ordre dans le foisonnement de divers types de chant liturgique en en éliminant les éléments trop mondains et incompatibles avec le service religieux.
Par la suite la création musicale s’est trouvée soumise à des « canons » (règles) stricts. Les compositeurs puisaient dans un réservoir de formules musicales préexistantes, et les enrichissaient à leur tour. C’était donc une création collective qui a suivi une évolution très lente, par étapes successives. Cette pratique de création est restée vivante jusqu’à nos jours, en Grèce et aussi à Constantinople et en Asie Mineure. Plusieurs types de notations musicales se sont succédés aux cours des siècles jusqu’à la notation neumatique en usage aujourd’hui. Toutefois, l’écriture musicale n’a qu’une fonction d’aide-mémoire; le rôle de la transmission orale reste fondamental.

Les caractéristiques du Chant Byzantin :
  • sans accompagnement d’instrument ( chant « a capella »);
  • monodique (à une seule voix);
  • il peut être accompagné toutefois par le chant d’une note tenue ou bourdon (appelé « isson ») qui correspond d’une certaine façon au fond d’or des icônes - symbole d’éternité;
  • il utilise des gammes héritées de la théorie musicale de la Grèce antique, reposant sur d’autres intervalles que ceux de la gamme tempérée en usage dans la musique occidentale actuelle
  • il a été transmis oralement et sans interruption depuis ses origines;
  • il recourt aux partitions en notation neumatique, constituées de signes globalisant la hauteur musicale relative (montée ou descente), l’énergie de l’émission et l’ornementation vocales;
  • il utilise un réservoir de formules - petites phrases ou cellules musicales - selon les divers types de chant, assemblées comme par une technique de mosaïque, pour former des mélodies selon les 8 modes (appelés aussi tons);
  • une grande liberté est laissée à l’interprète pour improviser et orner les mélodies;
  • c’est le texte qui génère directement l’énergie et le rythme du chant, mais la pulsation de base reste invariable et extrêmement rigoureuse;
  • l’émission vocale est franche et remplie de vigueur;
  • la conception du chant choral est particulière : c’est le chantre principal qui conduit par sa voix plutôt que par ses gestes et les choristes doivent le suivre en se fondant dans son chant.

II. L’adaptation du Chant Byzantin dans d’autres langues, conduisant à la création de nouvelles traditions. (solidaires du tronc commun grec, ou au contraire,
transformées en diverses traditions originales, de type populaire et nationale.) Nous allons passer en revue les différentes langues auxquelles le chant byzantin a été adapté au cours des siècles.

1. Le slavon
Le chant byzantin s’est d’abord développé dans la partie orientale de l’Empire Romain où la langue grecque était d’usage universel à cette époque. Avec la conversion au christianisme des peuples slaves dès la fin du 9e siècle, il fut entrepris la traduction des
textes liturgiques en slavon. De ce fait, il a fallu adapter les mélodies byzantines à cette nouvelle langue liturgique. Ainsi, à partir du chant byzantin grec, se sont développées de grandes traditions slaves de chant liturgique, notamment en Bulgarie, en Russie, en Ukraine et en Serbie. Les traditions de chant byzantin bulgare et serbe sont restées proches de l’original (leur similitude avec la pratique grecque de nos jours est très frappante); tandis qu’en Russie et en Ukraine le chant liturgique a pris peu à peu une nouvelle tournure, adapté au génie musical propre de ces pays, et transformé par d’importants apports venant de la musique occidentale, et ce dès le 17e siècle.

2. Le Roumain
Pendant plusieurs siècles, la seule langue d’adaptation du chant byzantin fut le slavon. Ainsi, même dans les territoires de la Valachie et de la Moldavie, c’est le slavon qui prédominait (à côté du grec) comme langue liturgique, dès le 14e siècle et jusqu’a la fin du 17e siècle. Ce n’est qu’au début du 18e siècle que la langue roumaine a remplacé le slavon, son emploi est donc relativement récent dans la célébration liturgique.

En Moldavie et en Valachie en particulier, qui se trouvent en la partie sud et est de la Roumanie actuelle, il existe aujourd’hui une tradition de chant byzantin en roumain très proche de la pratique grecque actuelle (alors que dans les régions de l’ouest, en Transylvanie et en Banat, le génie propre du lieu a conduit à un chant de type plus populaire ou d’influence occidentale, s’écartant beaucoup du chant original byzantin). Transcription des partitions de chant byzantin en notation occidentale : Dès la fin du 19e siècle, mais surtout à partir de la 2e partie du 20e siècle, en Roumanie, en Bulgarie, en Serbie et même en Grèce, des musicologues ont entrepris la transcription des mélodies byzantines en notation occidentale sur des portées. Auparavant, dans tous ces pays, des partitions en notation traditionnelle byzantine ont été développées. Cependant, la transmission étant essentiellement orale (la partition n’ayant qu’une fonction d’aide-mémoire...) l’exécution du chant byzantin est restée fidèle à l’ancienne pratique; (il est fréquent que les chantres ne suivent pas « à la lettre » la partition mais chantent selon la transmission orale).

3. L’arabe
Avant la conquête de l’islam, les arabes chrétiens orthodoxes ont célébré leur liturgie en grec, langue de l’Église et de la culture dans leur pays. Après la conquète islamique,la langue arabe commença à entrer progressivement dans les célébrations à côté du grec. Cependant,pour le chant liturgique, des difficultés ont persisté pendant de longs siècles.
En effet, l’arabe s’écrivant de droite à gauche contrairement à l’écriture musicale byzantine, il ne fut pas élaboré de partitions écrites des mélodies byzantines adaptées en arabe. La solution consistait soit à garder la pratique en grec, soit à improviser les chants en arabe, en suivant les mélodies byzantines. Ce n’est qu’à partir du début du 20e siècle qu’on réussit à créer des partitions des adaptations en arabe, d’abord écrites à la main puis imprimées depuis 1955.
Aujourd’hui la pratique du chant byzantin s’est généralisée dans les églises orthodoxes arabophones dépendantes du patriarcat d’Antioche ainsi que dans d’autres patriarcat d’orient (en gardant toutefois la pratique du chant grec occasionnellement).
Pour ces adaptations en arabe, le problème de la transcription en notation occidentale ne s’est pas posé car la culture musicale ambiante est majoritairement orientale. La manière d’exécuter ces chants cependant varie d’un endroit à l’autre, du style purement byzantin à un style beaucoup plus « arabisé ».

4. Le français.
A la fin du 20e siècle, la création en France de monastères orthodoxes de tradition grecque mais de langue française a tout naturellement nécessité l’adaptation des mélodies byzantines au français. C’est surtout au Monastère Saint-Antoine-le-Grand dans le Dauphiné (créé en 1978) que ce travail a été entrepris, ainsi que par les Sœurs du Monastère de Solan dans le Gard. Ce travail se réalise en collaboration avec un groupe de musicologues, de traducteurs et d’interprètes. Les partitions sont élaborées en double notation byzantine et occidentale.

Dans d’autres endroits en France ainsi que dans plusieurs pays francophones, des groupes de musicologues et d’interprètes du chant byzantin se réunissent également pour élaborer des adaptations. Ces approches contribuent au développement du chant byzantin dans tous les pays francophones où l’Orthodoxie en langue française est présente (par exemple, en dehors de la France : au Canada, en Belgique, en Suisse; en Afrique : au Cameroun, au Congo, à Madagascar etc.). Aussi, la demande est-elle de plus en plus grande pour des partitions de mélodies byzantines adaptées au français.

5. L’anglais et d’autres langues.
Le travail d’adaptation du chant byzantin se développe en d’autres langues partout dans le monde, suivant l’implantation grandissante de l’Orthodoxie. En dehors de l’anglais, c’est l’allemand, le néerlandais,le hongrois, l’ukrainien, le finlandais, l’albanais, le coréen, les dialectes de l’Indonésie etc.; on retrouve partout la même préoccupation de créer tout un répertoire de chant liturgique de type byzantin en langue autochtone.
C’est surtout en Angleterre et en Amérique que beaucoup de partitions sont déjà réalisées, en double notation.
L’avantage de l’anglais est bien sûr son usage universel à notre époque. Mais les différents dialectes des minorités comme le créole en Martinique ou les dialectes malgaches de Madagascar ainsi que le provençal ou le breton en France sollicitent aussi la création de nouvelles adaptations de chant byzantin.
Chanter des hymnes divines dans sa propre langue est un désir pour tous les chrétiens, pour que la Parole soit « tout près de vous ».
L’adaptation du chant byzantin dans toutes ces nouvelles langues est toujours une création.
Pour remplir pleinement son rôle, elle doit tenir compte :
  • et de la pratique traditionnelle des grecs, pour bénéficier de la force vivifiante des racines des origines,
  • et de l’expérience des pays de tradition orthodoxe qui ont déjà réussi cette transplantation,
  • et du caractère propre de la langue d’adaptation.
C’est à ce prix que le texte sacré gardera sa primauté, car « la musique doit rester serviteur fidèle de la Parole ».